De la mauvaise communication au travail

L'enfer c'est les autres

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De la mauvaise communication au travail

Le bonheur au travail n’est pas l’objectif premier d’une entreprise. En revanche, il peut être recherché depuis qu’on s’est rendu compte que la qualité d’une production est indexée sur la satisfaction que le travailleur peut ressentir sur son lieu de travail. La QVT, ou Qualité de Vie au Travail, essaie de gommer tous ce qu’on appelle les irritants, soit les causes d’insatisfactions (pannes de la machine à café, saleté des locaux, bruit dérangeant, etc.).

En France, le pourcentage de salariés dits engagés, c’est-à-dire qui se lèvent le matin avec le sourire quand ils partent au travail, est de 11%*. Les salariés désengagés, qui n’attendent de leur emploi qu’un salaire, représentent environ 60%. La troisième catégorie est celle des salariés activement désengagés, tellement malheureux qu’ils ne viennent travailler que pour afficher leur malheur. En outre, au sein de ces 60% de désengagés, il y en a un bon nombre qui ne trouve pas leur travail désagréable en soi du fait seul des relations sociales qu’ils y entretiennent. (*sondage Gallup de 2013, State of the global workplace)

Le travail comme lien social donc, est ce qui ressort comme l’élément le plus important. Parfois c’est même ce qu’on appelle le bonheur au travail. On comprend alors à quel point la relation à l’autre est primordiale dans l’entreprise car, quand la circulation de l’information ne fonctionne plus, il y a des gens qui, non seulement en souffrent, mais pis encore, tombent malade. Il est vrai que le bonheur n’est pas une affaire collective, toutefois la question est éminemment politique car la souffrance au travail produit des sociétés où la pathologie sociale se déploie.

Conditions Vs. Organisation

Faisons d’abord la distinction entre conditions de travail, matière qui relève de l'ergonomie, et organisation du travail. C’est cette dernière qui nous intéresse ici puisqu’elle se caractérise par trois dimensions :

  • la division des tâches et le contenu du travail ;

  • la prescription d’un mode opératoire ;

  • les modes de communication et rapports de subordination qui organisent les relations entre les travailleurs.

Penchons-nous plus particulièrement sur ce dernier aspect, les modes de communication et rapports de subordination, puisque la souffrance au travail, selon son acception générale, est d’abord un vécu spécifique résultant de la confrontation dynamique du sujet à cette troisième propriété de l’organisation du travail.

Or, avant d’être un décor, un environnement extérieur, le travail est d’abord un rapport social, une mise en scène de soi envers l’abrupte collision du mécontentement d’autrui. De ce fait, il suppose la coordination des intelligences qui préside à la formation de tous collectifs de travail. Il est possible de distinguer deux niveaux d’interaction dans la coordination de ces intelligences :

  • la coordination stricto sensu, qui désigne la prescription donnée par l’organisation du travail des relations entre les individus ;

  • la coopération, qui désigne les liens construits entre les sujets en vue de réaliser, volontairement, une œuvre commune.

Une équipe de travail doit donc être coordonnée, c’est-à-dire mélanger les niveaux de compétence ; mais doit être suffisamment plastique aussi pour laisser de la place à des coopérations, car c’est la coopération qui comble les lacunes de la coordination.

La coopération suppose toutefois une contribution, en échange de laquelle les sujets attendent une rétribution symbolique : soit une reconnaissance et l’appartenance au collectif de travail. Le plaisir au travail passe donc par les autres ainsi que leur reconnaissance, ce qui peut exiger de mettre en sourdine son ingéniosité individuelle. Mais celui qui perd cette reconnaissance au travail tombe alors en situation de solitude. Etre privé de son statut d’utilité en étant relégué à des tâches subalternes, ou placardisé, tout en conservant son salaire, ne permet pas d’éviter les atteintes, parfois majeures, au narcissisme, à la confiance en soi et à l’identité.

Mécanismes de défense

Les recherches cliniques sur le travail ont contribué à mettre en évidence une forme spécifique d’intelligence développée pour se défendre de la souffrance ressentie lors d’une confrontation avec les conditions et les modes d’organisation du travail. Celle-ci s’appuie sur la mobilisation de mécanismes psychiques omniprésents. Conjointement aux mécanismes de défense individuels classiquement décrits par la psychanalyse, il existe des constructions défensives élaborées et entretenues collectivement qui ont pour visée de lutter contre tout malaise généré par les contraintes au travail.

Face aux difficultés, chacun élabore des compromis et des ajustements. Des enquêtes (Dejours, 1992, 2007 ; Molinier, 1999), montrent que l’émergence de comportements socialement aberrants (mensonge collectif, sabotage de la production et des outils de travail, etc.), voire d’actes de violence entre collègues, ou contre les usagers, est associée à la déstructuration du collectif au sein de l’entreprise. Dans les cas de radicalisation de ces défenses, il y a déstructuration des liens de coopération fondés sur la délibération, et la cohésion collective s’organise alors autour de la recherche d’un ennemi commun, un bouc émissaire.

Ces idéologies défensives, en masquant les sources de la souffrance, impliquent toujours une disparition des espaces de discussion sur le travail et de la convivialité, ce qui ouvre la voie à l’émergence de la violence. La convivialité se déploie essentiellement dans les espaces informels (pauses-café, pots et arrosages festifs, activités extraprofessionnelles) et joue un rôle majeur dans la cohésion, le maintien de la coopération et la construction de la confiance au sein du collectif de travail. Or, cette convivialité est ce qui se détériore le plus rapidement quand la discussion sur le travail est compromise (hypocrisie, méfiance, ragots…). De telles conduites irrationnelles revêtent ainsi une logique au regard de la lutte contre la souffrance dans le travail, alors qu’elles peuvent apparaître comme incompréhensibles du point de vue de l’efficacité stratégique.

Or, quand la vie professionnelle, surtout lorsqu’elle est profondément investie, se fait décevante, c’est toute la sphère affective du sujet, au premier rang de laquelle se situe les relations conjugales, qui en pâtie.