En cas de tentative de suicide sur Facebook, puis-je intervenir ?

Le recours aux réseaux sociaux

Stéphane MONACHON

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En cas de tentative de suicide sur Facebook, puis-je intervenir ?

Au Seattle Children’s Hospital s’est développé un centre de recherche sur les réseaux sociaux et la santé des adolescents, dit SMAHRT. En 2013, l’équipe travaillait à une étude sur la façon dont les étudiants partageaient leurs vécus de consommation d'alcool sur Facebook. Entre le verre en petit comité et la beuverie générale, un membre de l'équipe mentionna un jour qu'elle remarquait des références à des symptômes de dépression sur le profil d'un étudiant.

« Je suppose que cette personne a passé une mauvaise journée », suggéra Megan Moreno, en charge de l’étude. Peu de temps après, un autre collègue lui demanda de regarder son écran. « Ne sont-ce pas des symptômes de dépression ? » Ils ont alors immédiatement lancé une nouvelle étude pour évaluer les symptômes de dépression sur Facebook, en examinant 200 profils d'étudiants sur une année.

Environ 25% d’entre eux y faisaient une ou plusieurs références, tels que « se sentir triste, fatigué », « ne pas pouvoir aller en cours » ou « ne rien faire correctement », « volonté d’abandonner la faculté », « totalement désespéré ». En raison de la nature des réseaux sociaux, les médecins ont également pu observer comment l’entourage répondait à ces divulgations. Souvent, des amis écrivaient un commentaire de soutien : « Accroche-toi ! » D'autres proposaient une aide plus soutenue : « J'arrive et j'apporte la Xbox ».

Longtemps, la dépression a été une pathologie stigmatisante. Certains niaient la douleur « car il y a toujours pire ailleurs », d’autres n’ont jamais consulté de peur d'être découverts dans leur faiblesse. Or, une dépression non traitée peut s’aggraver et conduire au suicide. Bien des familles n’ont appris qu'un être cher en souffrait qu'après son funeste décret. Mais les médias sociaux changent notre style de vie, et si un quart des étudiants font référence à des symptômes de dépression sur la toile, que reste-il de cette stigmatisation ?

Petit topo clinique

Tout d’abord, la dépression n’est pas une entité homogène et il ne faut pas établir une équation simpliste entre dépression et suicide. Sans trop entrer dans le détail, on parle de la triade symptomatique dans son tableau clinique : humeur dépressive (idées noires, dévalorisation, sentiment de culpabilité) ; inhibition/ralentissement psychomoteur (diminution d’intérêts pour des activités, fatigue, difficultés de concentration) ; signes somatiques (troubles du sommeil, de l’alimentation, douleurs physiques).

Il existe un lien étroit entre narcissisme et dépression. Un deuil, par exemple, ou une vive déception entraine une blessure narcissique, dont la marque spécifique est une autodépréciation, car elle réveille notre sensation de dépendance vis-à-vis des personnes ou des choses. Un sentiment de faillite prend alors la place laissée vacante, source de haine camouflée sous la tristesse, car le Moi se déçoit face à son Idéal du Moi, modèle d’autonomie.

Cette déplétion narcissique, qui provoque ce sentiment de vide si caractéristique de la dépression, se mute en mépris de soi, puisque le narcissisme est l’amour portée à l’image de soi, voire en haine de soi. Toutefois, il ne faut pas en faire l’œuvre de la fatalité, un deuil ou une déception peuvent être une expérience très douloureuse sans devenir un traumatisme. La forme sémiologique de la décompensation (dépression, délire, crise somatique) dépend de l’étiologie structurale du sujet, des conditions sociales et des garants métasociaux (les grandes structures d’encadrement et de régulation de la vie sociale et culturelle).

Changements sociaux et culturels

Au cours de la dernière décennie, un changement de la stigmatisation a été observé en ligne, sur ces espaces partagés que sont Facebook, Twitter, YouTube, où les utilisateurs sont à la fois créateurs et consommateurs de médias. Car ce sont les adolescents et les jeunes adultes qui en sont les utilisateurs les plus fervents, avec des taux d'utilisation supérieurs à 80% dans la plupart des études réalisées par Pew Internet et American Life Project. Après cette première étude sur Facebook, le SMAHRT a trouvé plus de 200 000 Tweets contenant le terme « déprimé ». Sur Instagram, des communautés d’automutilations et de troubles alimentaires se soutiennent.

Si la stigmatisation change, la culture du suicide change aussi. Les mots laissés relatifs à ce genre de geste ne sont plus dans des enveloppes scellées mais s’affichent sur les réseaux sociaux. C'est un changement radical ! La personne suicidaire ne s'explique plus a posteriori mais lance un avertissement. Le problème est que de nombreuses « annonces » suicidaires ne sont reconnues comme telles qu'après coup, provoquant essentiellement de l’inquiétude, car beaucoup « d’amis » Facebook ne sont que de vagues connaissances. Cependant, il existe de nombreuses histoires où des personnes, face à de tels messages en ligne, ont appelé les secours, bien qu’il puisse toujours s’agir d’une mauvaise « blague ».

Au cours des cinq dernières années, l’équipe du SMAHRT a envisagé un avenir où la dépression et le suicide seraient modifiés par les médias sociaux. Avec la divulgation ouverte des symptômes, on pourrait ainsi identifier les personnes à risque et leur offrir des ressources ou un traitement. Des études ont exploré un système automatisé de détection pour identifier le langage suicidaire et alerter une unité de secours. Mais la plupart des systèmes de détection reposent sur la reconnaissance de mots-clés et il est peu probable que ces systèmes de détection puissent reconnaitre l’ensemble des tournures de phrases et euphémismes utilisés dans ces moments-là.

Ensuite, une solution évidente est apparue. A la suite d’une conférence, Megan Moreno a été approché par une femme de l'auditoire qui avait remarqué les messages de dépression de son neveu sur Facebook. Elle était allée lui en parler et comme il ne voulait pas que son père le sache, elle lui a trouvé elle-même un conseiller. Moreno a utilisé le terme de « tante cool » pour désigner ces adultes de confiance, attentionnés, prêts à devenir l'ami Facebook d'un jeune et lui poser une des questions les plus importantes de notre société : « Ça va ? »

L'attitude évidente est souvent la meilleure

Malgré ses nombreuses statistiques, le suicide est un phénomène qui reste mal connu. Or, on constate que le nombre de tentatives s’effondre au moment du Ramadan en Algérie, de la Pâques juive en Israël, ou en Inde lors de la fête bouddhiste de la Moisson de la Lune. Et il en va ainsi lors de n’importe quelles fêtes laïques ou religieuses du fait du rituel des réunions quotidiennes familiales ou amicales. Mais c’est l’inverse qui est constaté chez ceux dont les familles sont troublées ou détruites, donnant alors un sentiment d’échec ou de privation affective, au moment de Noël ou de la fête des mères.

La culture du suicide et de la dépression a, certes, subi un changement radical, car la stigmatisation a été réduite et pourrait même être inexistante dans le monde en ligne. Toutefois, face à un jeune déprimé, il ne faut pas que l’entourage se laisse entrainer dans son désir à lui de lâcher prise, car le suicide est souvent un appel à une microsociété qui entoure et ne comprend pas, selon un mode d’expression qui est non dans la parole mais dans l’agir. Le contexte relationnel doit être soutenant, en gardant à l’esprit que c’est dans la dépression que l’effet placebo est parmi les plus marqués, pouvant aller jusqu’à 50 ou 60% d’efficacité.

Comme le signal Edouard Zarifian, une stimulation verbale et relationnelle continue peut « "guérir" la plupart des "dépressions" », car elle met en balance l’effet antidépresseur du passage à l’acte.