Le complexe Serge, Mythomane
La mythomanie en séance
Stéphane MONACHON
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Il ne s’appelle pas Serge mais il est mythomane. D’ailleurs, quand il m’a dit son nom, j’ai douté qu’il soit vrai. Oui, j’ai douté même de cela, la première information par laquelle les gens se dévoilent. Comment construire une relation dans de telles conditions ? Puis, à l’aune d’un règlement par chèque, je lus qu’il ne m’avait pas menti. Je me suis senti bien penaud. Or, on dit parfois que le mythomane prend plaisir à mettre son interlocuteur en porte-à-faux car, pour paraphraser Lévy-Strauss, le menteur est d’abord celui qui croit au mensonge.
La vérité si je mens
Dès l'âge de 3/4 ans, l'enfant est capable d'affabuler. Il comprend que ce qu'il a dans la tête n'est pas ce que l'autre a dans la sienne et qu’un monde à lui est en train d’émerger. Ainsi, le mensonge est d’abord une protection contre une intrusion du monde extérieur : en énonçant une histoire fallacieuse que l’adulte admet (ou fait mine de), l’enfant fait preuve d’une d’herméticité salvatrice. C’est une façon de s'affranchir de l'Autre, notamment de ses parents qu'il imagine capables de lire ses pensées. Herméticité quant à ce qui est à l’intérieure, mais également vis-à-vis de l’extérieur. Car, en d’autres cas, l’enfant ment pour répondre aux exigences de son environnement. Quand on lui demande si ça s’est bien passé chez papi et mamie et qu’il répond « Heu… oui », il se conforme à ce qu’on attend, tout en laissant à l’extérieur l’angoisse sous-jacente à cette question.
S'opère alors une distanciation – propre au processus d'individuation – d'avec ses parents, sans réelle séparation. Car l'enfant se rattache encore à eux par le langage, et c'est par cette dernière amarre qu'il continue sa construction. Ainsi, la notion de vérité acquiert son importance. Il croit en ce que disent les grands, il s'attend à ce que ce soit la vérité car seule celle-ci lui permet de se bâtir – un enfant qui douterait de l’apport véridique des adultes grandirait avec un sentiment de vide. Il y a donc une réelle exigence de sens en vue d’une édification unifiée de lui-même. D'où l'importance de la confiance en ce que dit l'autre. Ainsi, vérité de soi et vérité extérieure sont corrélées ; il faut au moins être deux pour être soi. La vérité objective, comme subjective, s’atteste par le dialogue.
« Elle [la vérité] est toujours quelque chose d’expérimentale. » Simone Weil, La Condition Ouvrière
Toutefois, il y a l’histoire telle qu’elle s’est passée et telle qu’on la raconte, sans pour autant sombrer dans le mensonge. Les Grecs anciens reconnaissaient un pouvoir à la parole : l’éloge, qui permet d’amplifier ce qui est. L'éloge, « eu-logos » ou le bon discours, est relié au concept philosophique de la phusis qui désigne tout ce qui est et advient. Ainsi la parole peut transformer le banal, voir le laid, en beau – à l’instar d’Une Charogne de Baudelaire. Eloge grâce à laquelle une vérité nouvelle surgit d’une vérité antérieure. D'où la rengaine de Platon contre les sophistes et poètes, dont il ne voulait pas dans sa République idéale, lui qui tend vers le Vrai, le Bien, le Beau. Donc embellir ce qui nous arrive dans la vie peut nous faire sentir meilleur, voire vivant. C'est la logique de la performativité du langage. Mais la limite est fine entre le mensonge et la vérité enjolivée de l’éloge.
Un désir de vérité
Lorsqu’on interagit avec quelqu’un, on a une attente vis-à-vis de lui ; donc chaque relation humaine porte en elle un écueil de frustration. Spécialement à l’égard de ce qu’on n’a pas réussi à dire de soi. D’où la formule de Lacan : « la vérité est toujours mi-dite », il resterait toujours une part de soi à dire. Et celle-ci advient notamment dans le transfert, par le symptôme. C’est par lui que la vérité du patient affleure. Le lapsus en est un exemple frappant, il est ce que la personne veut véritablement dire ; le lapsus est un symptôme. En psychanalyse, le symptôme n’est pas une dysfonction physiologique ou neurologique mais le retour de la vérité du sujet, c’est-à-dire son désir, dont il ne peut se débarrasser. Car Vérité est un autre nom de Désir.
« Le corps fonctionne donc comme un langage par lequel, on est parlé, plutôt qu’on ne le parle, un langage de la nature où se trahit le plus caché et le plus vrai, à la fois, parce que le moins consciemment contrôlé et contrôlable et qui contamine et surdétermine de ses messages perçus et non aperçus toutes les expressions intentionnelles à commencer par la parole. » Pierre Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales
Et le mensonge, comme le lapsus, est un symptôme, qu’on retrouve en clinique des imposteurs, des menteurs, des personnalités as if, etc… Si, pour un anthropologue, sociologue ou neurologue, le fait de mentir (son versant cognitif) est plus intéressant que le mensonge lui-même (son versant social), il en va du contraire pour le psychanalyste. Or, il est rare qu’un mythomane consulte et quand il le fait, il est dans un profond état d'angoisse, voire de dépression. Généralement, pour avoir été découvert. C'est alors toute l'image qu'il a de lui-même qui s'est déchirée. Il a perdu sa consistance, soit un véritable effondrement narcissique.
Aux origines de Serge
Dans mythomanie, il y a muthos- « la parole, le récit », et -mania qui indique un caractère compulsif. Le mythomane invente une identité, des événements, etc., pour échapper à la souffrance qu’est sa vie. Si le menteur sait que ce qu’il raconte est faux, la mythomanie se fonde sur le déni de réalité, il croit à l’histoire fausse qu’il raconte car elle donne tort à une vérité qu’il refuse. Ainsi, ce qui lui importe est avant tout le regard de l’autre. « Je vois que vous êtes curieux, vous voulez savoir » me dit Serge lors de notre premier entretien qu’il a débuté par « Il m’est arrivé quelque chose de terrible, TERRIBLE !!! » A ce moment-là, il n’existe plus comme interlocuteur mais son récit prend littéralement corps. On y retrouve tous les ressorts littéraires : champs lexical idoine, exagération, condensation, métonymie (Serge ne dit pas pompiers mais « les casques de chromes »), et les péripéties s’enchainent comme dans un roman d’aventure. Telles les pulsations d’un cœur battant, le mythomane maintient une tension, son personnage ne doit pas retomber comme un soufflé.
Mais un élément ne trompe pas : aucune relation à Serge n’existe. Il parle avec les yeux dans le vide, visualisant ce qu’il dit image après image – avec une vivacité émotionnelle qui met mal-à-l’aise, comme voir hurler les personnages d’Hitchcock. Avec quelques incohérences dans les raccords. Il n’y a jamais de tiers personnage, mais Serge en victime, toujours, et un bourreau ; et s’il y a d’autres protagonistes, ils sont aussi inactifs que du mobilier. Si je pose une question à leur sujet, le récit adopte une toute nouvelle facette, imprévue au scénario mais ajoutée en post-production. Au fur et à mesure des séances, un schéma se dégage pourtant chez Serge : omniprésence de violence, une rengaine identitaire, une haine de son sexe et de sa naissance, ainsi que de l’humiliation. Car la mythomanie est avant tout mensonge sur les origines, véritable centre de gravité du psychisme. Serge s'invente une autre vie parce que sa biographie est trop TERRIBLE pour se l’approprier.
« Seul l’homme sait parler de ce qui n’est pas, et, à vrai dire, ne sait parler que de ce qui n’est pas. Il parle de ce qui n’est pas encore, de ce qui n’est plus et il échoue lamentablement dès qu’il essaie de parler de ce qui est… on a toujours avoué que la vérité ne se formule pas, mais se vit, se vit donc en dehors du langage. Car le langage n’est pas un instrument destiné à énoncer ce qui est, mais à exprimer ce qui ne satisfait pas l’homme et à formuler ce qu’il désire ; son contenu n’est pas formé par ce qui est mais par ce qui n’est pas. » Eric Weil, Logique de la Philosophie
Il y a une addiction au mensonge ; plus on ment, plus la part de culpabilité en nous quand on ment diminue. Même si l’on perce à jour la vérité objective de son histoire et qu’on la respecte autant que celle des récits qu’il invente, le mythomane recommencera à mentir dès qu’il sera dans un autre cercle de personnes. Comme chaque fois qu’il est découvert, Serge change d’amis, de ville, de région, et recommence à raconter des histoires. Il marche constamment sur une ligne de crête. Et un matin il cesse de venir en séance, comme s’il avait repris du poil de la bête…
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