Le harcèlement scolaire, un autre point de vue
Comment appréhender le sujet
Stéphane MONACHON
11/14/202310 min read
Le harcèlement scolaire, un autre point de vue
Le mois dernier, le gouvernement annonçait son plan de lutte contre le harcèlement scolaire. A l’image des luttes contre les violences sexuelles, l’inceste ou encore les discriminations, tout plan d’action n’est efficace que s’il est pluridisciplinaire. Un arsenal juridique est tout aussi nécessaire qu’un accompagnement psychologique. Législateur, instituteurs, psychologues ainsi que les parents d’élève sont dans le même bateau, tous avec une main sur le gouvernail.
Car le harcèlement scolaire existe de toute éternité, du moins depuis que l’école existe – et non ce n’est pas Charlemagne qui a eu cette idée folle. En psychologie évolutionniste, on considère que tout comportement humain qui persiste dans le temps de génération en génération a une raison d’être, de persister parmi le panel de nos attitudes, mêmes répréhensibles. Or, pour chaque comportement humain qui relève d’une communication non verbale, il est bon de distinguer un expéditeur, un destinataire et le message en lui-même. C’est ce que nous allons tâcher de faire ici.
L’enfant est-il un être bon ou mauvais ?
Dans Sa Majesté des Mouches (1953), William Golding narre la mésaventure d’une bande de jeunes garçons britanniques, âgés de 6 à 12 ans, échoués sur une île paradisiaque avec fruits à profusion et lagon d’eau turquoise. Or, l’odyssée vire au cauchemar. Trahison, violence, l’île est très vite à feu et à sang, jusqu’à ce que la Navy récupère les survivants en piteux état. Même ces enfants de bonne famille, future élite de la nation, ont succombé à la plus crasse cruauté. Cependant, en juin 1965, six adolescents des îles Tonga sont pris dans une tempête et, après huit jours de dérive, ils abordent l’île déserte d’Ata dans le Pacifique. Ces authentiques naufragés chassent, construisent une hutte, chantent et jouent ensemble. Lorsque l’un d’eux se brise la jambe, ils le nomment roi et prennent soin de lui. Et s’isolent en cas de dispute. Après 15 mois d’une vie paisible, ils sont secourus à leur tour. Soit une robinsonnade radicalement opposée à celle du roman. L’enfant, est-il foncièrement bon, ou foncièrement mauvais ?
Deux penseurs s’affrontent sur la question : dans un angle du ring Thomas Hobbes en short bleu vs. Jean-Jacques Rousseau lui faisant face en short rouge. Hobbes est l’auteur de « la guerre de tous contre tous » et « l’homme est un loup pour l’homme », pour lui, l’être humain est mu par la méfiance, la concurrence et la vanité – ce qu’il appelle l’état de nature –, et il faut des institutions et un état fort pour limiter la désintégration du corps social, un monstre de puissance : le Léviathan. Au contraire, Rousseau pense « que l’homme est naturellement bon », c’est le principe fondateur de toute sa philosophie, l’enfant est régi par l’amour de soi et le désir de conservation et non pas par l’amour-propre ni la compétition ; et la civilisation, par une éducation qu’il juge pédantesque, vient corrompre le cœur de nos chères têtes blondes.
« L’homme sauvage n’a point cet admirable talent [i.e. réfléchir trop et trouver des raisons de ne pas aider son prochain] ; et faute de sagesse et de raison, on le voit toujours se livrer étourdiment au premier sentiment de l’humanité. » Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les Hommes
Donc pour Hobbes, le mal est en nous et la civilisation est son remède. Pour Rousseau, le bien est en nous et la civilisation son poison. Deux visions inconciliables qui divisent encore aujourd’hui. Freud viendra apporter sa pierre à l’édifice, avec un net penchant pour les thèses hobbesiennes. Dans Pourquoi la Guerre ?, le médecin viennois répond à Albert Einstein, qui lui pose la question, qu’il n’est pas nécessaire de penser toute violence comme pathologique puisqu’elle est en nous de manière irrémédiable, qu’elle est naturelle, ce qu’il appelle la pulsion de mort. La pulsion de mort n’est pas mortifère, elle se rapproche de l’instinct de conservation, dans un sens d’immobilisme, persévérer dans ce qu’on a et ce qu’on est, quitte à anéantir l’autre. Golding était professeur et fut le témoin de nombreuses exactions dans la cour de récréation qu’il dénonçait dans son roman.
Les paroles s’envolent et l’insulte reste
En anthropologie, l’insulte est une catégorie à part entière dans l’étude d’une société, de sa langue. On y relève des termes caressifs (déférence, politesse) mais aussi des termes agressifs, dont les insultes. Toute culture possède son lot d’insultes, avec de grandes catégories invariables et des découpages propres à chacune. Cette universalité est due au fait qu’elles remplissent une fonction sociale, celle de signaler le dépassement d’une limite, qui variera selon l’époque et le lieu. Par exemple, « catin » était le diminutif de Catherine à l’origine, nom communément donné aux poupées au Moyen-Age, désormais terme trivial. Autre aperçu, chez les anglo-saxons l’insulte est coprophile, mais génitale chez les latins : en français, nous utilisons couramment le terme de « con », qui signifie vagin (de conil, le lapin), pour vilipender quelqu’un or, pour la même utilisation, un anglais utilisera « ass », c’est-à-dire un cul. L’insulte reflète donc un psychisme, une façon de penser.
L’utilisation d’insultes se fait ainsi dans un contexte social bien précis, avec des règles tacites quant à ce qui est toléré et ce qui ne l’est pas. Insulter son adversaire politique lors d’un meeting peut galvaniser les troupes mais le faire lors d’un débat télévisé serait jugé vulgaire. Et puis l’insulte, en tant que mot prélevé par un groupe pour en définir un autre, devient une estampille. En 1971, le Nouvel Obs publie le Manifeste des 343 Salopes, pétition rassemblant 343 femmes de premier plan appelant à la légalisation de l’avortement. Elles ont repris à leur compte l’insulte qui leur était faite. On parle alors, en sociologie, de retournement du stigmate. L’insulte en dit toujours plus sur l’insulteur que sur l’insulté, sauf s’y l’insulté décide de s’y retrouver.
Le droit distingue l’injure de la diffamation, et renvoie à une action ou un fait qu’on va pouvoir démontrer ou non. L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dite loi de la liberté de la presse, commence par définir la diffamation : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est diffamation ». Cette même loi dit pour l’injure qu’il s’agit d’une « expression outrageante, terme de mépris ou invective qui enferme l’imputation d’aucun fait ». Tout se joue sur le caractère irrécusable de l’injure mais celle-ci renvoie à la réputation, soit une légère distinction avec l’insulte.
Etymologiquement, insulter provint de insultare qui signifie « sauter sur, attaquer » en latin. Au départ, c’est une attaque physique qui est devenue verbale pour se placer à l’intermédiaire entre le cri (de colère) et le passage à l’acte, soit une abolition du langage raisonné qui se substitue tout de même aux coups. Si, de manière générale, la haine est refoulée, car désagréable, culpabilisante et socialement irrecevable, l’insulte permet de faire baisser la pression en exprimant son ressentiment, sans verser dans l’inacceptable violence physique. Or, une levée du refoulement de la haine signifie jouissance de cette même haine dans le sociale, et de ponctuelle, l’insulte devient systématique. La jouissance de la haine est le danger du harcèlement.
Le harcèlement moderne
Le développement de l’enfant et de l’adolescent est ponctué de phases comportant une agressivité normale ; vouloir la faire disparaître est inefficace et vain. Ces différentes phases sont la naissance, l’Œdipe, l’adolescence, etc. Mélanie Klein pense que le nourrisson déjà est habité par la pulsion de mort, et s’en défend. Henri Wallon parle de la crise d’opposition à 3 ans, car la motricité a fait suffisamment de progrès pour agir l’agressivité de l’enfant. Cet agir la fait retomber. Les cas préoccupants sont ceux dont le tonus d’opposition, c’est-à-dire l’agressivité, ne décroit pas. Donald Winnicott développe l’idée d’une agressivité de vérification, où l’enfant et l’adolescent vont s’en prendre aux parents pour tester leur solidité, notamment quand il dit : « Je n’ai pas demandé à naître » ou « Je souhaiterais que tu sois morte ».
Cette agressivité n’est pas de la méchanceté, loin s’en faut. Elle ne porte pas en soi de notions d’agresseur ni d’agressé. On parle toutefois d’hétéro-agressivité lorsqu’elle se porte sur autrui, mais aussi d’auto-agressivité envers soi-même et la culpabilité en est un exemple. L’agressivité peut aussi se faire défense contre un sentiment dérangeant, comme dans la cour de récréation où on tourmente davantage l’être aimé. Elle porte un caractère structurant et change ainsi de nom lorsqu’elle quitte la seule psychologie de l’individu, on parle alors de rivalité dans les fratries ou les cours d’école, ou encore de combativité comme ressenti social. Une rivalité peut même s’exprimer par une émulation, tel un cercle vertueux. Le harcèlement ressemble donc d’avantage à une solution de facilité pour se débarrasser de son agressivité.
« L'homme n'est pas un être doux, en besoin d'amour, qui serait tout au plus en mesure de se défendre quand il est attaqué, mais qu'au contraire il compte aussi à juste titre parmi ses aptitudes pulsionnelles une très forte part de penchant à l’agression. » Sigmund Freud, Malaise dans la Culture
Or, un glissement de l’agressivité vers la stigmatisation, vers l’humiliation, s’opère selon un certain climat car plus la société est perméable à la stigmatisation, plus ce glissement semble autorisé. L’adolescent harceleur n’a très souvent aucune idée des conséquences graves que cela peut avoir puisqu’il s’agit pour lui d’une espèce de planche de salut que de s’en prendre à l’autre. C’est une façon de démentir, de nier l’angoisse qui le tenaille. La question est donc de savoir comment prévenir ces mouvements de jouissances qui cherchent à atteindre l’autre en le réduisant à sa valeur d’objet de jouissance ?
Le sentiment d’humiliation touche à l’intégrité de l’individu et son lien social. Humiliation vient de humis, le sol, qui a donné humus, c’est être mis plus bas que terre, par le biais de l’insulte. Nous le savons, l’adolescence est une période de remise en cause (ou une affirmation) de la place de l’individu au sein du groupe, quant aux rapports de pouvoir, au sexe opposé, ou face à ses propres difficultés. Et pour cette édification, l’adolescent va mobiliser des données agressives. Le harceleur est alors un adolescent qui projette ce qu’il craint le plus pour lui-même et l’attribue à un autre sur lequel il va s’acharner afin de se défendre de ses propres blessures internes. L’humiliation de l’autre est une satisfaction, une jouissance (parfois sexuelle), de l’agressivité.
Accuser alors le coupable pour protéger la victime rate l’objectif. Prendre des mesures contre le harcèlement scolaire ne revient pas non plus à octroyer aux professeurs un devoir policier. Un enfant harceleur – hors troubles narcissiques – ne doit pas être puni mais écouté dans le but d’acquérir une nouvelle représentation de lui-même, réarticulée à la langue de l’autre, et surtout l’aider à nommer son symptôme. Il est ainsi du ressort du collectif d’être plus vigilant à ses propres agissements pour que les enfants perçoivent que notre société n’est ni intolérante ni stigmatisante.
Le cyber-harcèlement
Avant, un individu se définissait en s’identifiant au groupe social qui le portait, qui le faisait avancer et avançait avec lui, qui lui donnait une certaine fierté. L’idée même de la classe ouvrière était cela. C’était aussi la façon, en se mettant dans un collectif, de se reconnaître comme valant quelque chose, apportant quelque chose à la société. Les insultes ciblaient alors ces groupes d’appartenance : le Rital, le Prolo, le Youpin, etc., et le bien du collectif pouvait réparer le mal de la stigmatisation. Aujourd’hui, notre société est devenue individualiste, chacun doit se démarquer, se réaliser soi-même. Pour rappel, la résilience dont on parle tant de nos jours repose énormément sur ce versant social.
Ce qui a changé également est l’avènement des réseaux sociaux. Auparavant, le harcèlement scolaire se faisait à l’école et ensuite l’enfant réintégrait son identité familiale avec l’amour ou la reconnaissance qu’il y recevait. Aujourd’hui, on se met en avant sur les réseaux, on s’y met en scène, on ne peut plus se soustraire au regard de l’autre et l’oubli est impossible. Il y a une usure, une fatigue de l’enfant harcelé, d’être à la fois dans des relations normales avec sa famille et devoir en parallèle cacher cette violence vécue. Cette impuissance à digérer ce qui nous arrive dans la journée à l’école est d’une violence toute aussi grande que l’humiliation elle-même.
« La multiplication des situations de harcèlement serait […] la conséquence d'une évolution des structures de personnalité, organisées de plus en plus fréquemment sur le mode narcissique de la recherche de la jouissance […], dans la société post-moderne (R. Chemama, 2003 ; C. Melman, 2002). » Christophe Dejours & Isabelle Gernet, Psychopathologie du Travail
Conclusion
Donc si nous reprenons la distinction énoncée dans l’introduction, l’émetteur-harceleur est un adolescent mal dans sa peau – en tout cas en proie à un tiraillement –, le récepteur est une victime qui fait consensus pour un certain groupe (amis, école, famille, voire collègues sur le lieu de travail) et dont le message est une pure angoisse verbalement exprimée par un discours pauvre et discriminant.
S’il existe des vulnérabilités biologiques pour certains troubles, il faut aussi être avisé des vulnérabilités culturelles, verbales (louange, compliment, persiflage, insulte). Tout ce qui se dit, qui touche à l’identité d’un sujet, cherchant ou non à nuire, entraine des dégâts. Le harcèlement peut ainsi faire le lit du retrait social de l’enfant. Pour le détecter, il y a ce qu’on appelle des neurological soft signs (signes neurologiques légers), qui doivent alerter : difficultés d’apprentissage, à la concentration, des troubles l’attention ou de l’interaction sociale.
Face à un enfant harcelé, il faut dire que ce comportement, certes très dur à vivre, en dit davantage sur son bourreau et que ce qui lui est dit pour l’humilier ne le définit en rien. Le harceleur exprime sa peur d’être rejeté en rejetant l’autre. Ces simples paroles n’effaceront pas la souffrance, mais si l’enfant perçoit que ses parents (ou professeurs) tiennent un discours déculpabilisant et raisonné sur ce qu’il vit, et qu’ils prennent à leur compte d’agir (en portant plainte, par exemple), sans volonté de punir le harceleur mais seulement de faire cesser son tourment, celle-ci en sera certainement atténuée et évitera l’écueil du traumatisme.
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