L’équation or = excrément, antienne sibylline de la psychanalyse

Les dragons à la rescousse

12/10/20238 min read

L’équation or = excrément, antienne sibylline de la psychanalyse

Lors de l’épreuve de culture générale d’un oral blanc de préparation au concours d’entrée à l’ENM, un candidat tombe sur le vaste thème des dragons. Sans se laisser démonter pour autant, il use de son quart d’heure pour plancher sur le sujet dans un recoin de la salle d’examen. Je me suis alors dit qu’il est hardi de s’épancher sur un tel objet mythologique tant la rigueur académique pardonne rarement les hasardements dans le giron mystico-légendaire.

Me laissant aller aux vaticinations à mon tour, je me remémore l‘histoire du raid viking, en 793, sur le monastère isolé de Lindisfarne, proche de la frontière anglo-écossaise. D’ailleurs, le nom de drakkar, sous lequel sont connus les navires vikings en français, est un terme récent emprunté au suédois moderne drake, signifiant dragons. A l’époque viking, seule la forme dreki existait pour désigner le bestiaire sculpté à la proue et à la poupe des navires pour impressionner les ennemis, car ils incarnaient la puissance, l’agressivité et la cupidité de leurs guerriers. Ainsi est né, au travers du récit des survivants, la légende que le dragon est l’ennemi de la chrétienté.

A son retour, le candidat fait fi de ce versant historique et disserte plutôt sur les dragons de l’économie asiatique, à savoir Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan. Voilà un abord surprenant et original qui charrie à son tour son lot d’associations. Existerait-il un lien entre les drakkars de Lindisfarne et l’économie florissante de ce quatuor ? En apparence non. Mais si nous regardons bien et nous laissons aller aux assimilations qui ont valu aux psychanalystes la réputation que leur ont faite leurs détracteurs de pouvoir à notre gré remplacer n'importe quoi par n'importe quoi et expliquer la teneur de l’alpha par les arabesques de l’omega, quelque chose comme un fil d’Ariane se tisse-là.

Equation Or = Excrément

Débutons, comme il se doit, par les théories de Freud. La nomenclature psychanalytique nomme les étapes du développement de l’enfant selon la zone biologique, dite zone érogène, qui expérimente alors une activité singulière. A la suite du tout-petit polymorphe, la première phase est dite orale car le bébé, âgé d’environ 1 an, explore le monde par la bouche, puis subit une poussée dentaire à laquelle suit le sevrage. La deuxième phase est appelée anale, car l’enfant commence à déféquer sur le pot, il se sent doter d’une puissance sans mesure grâce à la maitrise nouvelle de sa musculature sphinctérienne, à partir de là apprend-il enfin la propreté. C’est cette dernière phase qui nous intéresse ici.

En 1908, Freud écrit son célèbre article Caractère et érotisme anal, où il écrit : « En vérité, partout où a régné ou persiste encore le mode de penser archaïque, dans les civilisations anciennes, dans le mythe, les contes, les superstitions, dans la pensée inconsciente, dans le rêve et dans la névrose, l'argent est mis en relation intime avec l'excrément. » Bien plus documentée que les autres, cette phase anale est ponctuée de quatre grandes découvertes regroupées en duo : le premier où l’enfant découvre que la défécation est une autosatisfaction et qu’elle engendre des gratifications sociales ; et le second où la rétention provoque un plaisir plus grand lors de l’évacuation et qu’elle est un levier sur son environnement. C’est ainsi que, dans ce même article, Freud décrit les personnes relevant du caractère anal comme « particulièrement ordonnées, économes, et entêtées », du fait de cet apprentissage de la propreté, de cette propension à la rétention et du plaisir qu'on les enfants à cet âge à répondre constamment par la négative.

Pour étayer ce propos, il cite pléthore d’exemples de corrélations langagières en langue allemande entre l’argent et l’excrément qu’il serait fastidieux de reporter de façon exhaustive. Mais une série est intéressant, celle qui se réfère au Diable. En littérature, à l’instar du conte du chieur de ducats, il est connu que lorsque le diable fait cadeau de pièces d’or à un suppôt, celles-ci se transforment en excrément dès son départ. En outre, les Aztèques appelaient l’or teocuitla, soit « crotte des dieux » (de teo- dieu et -cuitla, excrément), ou encore, indique Freud, « dans la doctrine de l'ancienne Babylone l’or est l'excrément de l'enfer, Mammon = ilu manman ». Dans le Nouveau Testament, Mammon est la richesse matérielle personnifiée, son adoration correspond au culte du Veau d'or et à l'avarice qui, dans la morale catholique, est péché mortel. Man-man étant le surnom du dieu des Enfers.

Or, vous objecterez que si Freud trouve beaucoup d’équivalences linguistiques à l’appui de cette comparaison en allemand, il n'y en a que très peu en français. Effectivement, et cela provient de la distinction qu'il existe entre la glose germanique et anglo-saxonne qui, de manière générale, est plus coprophile que la nôtre. Quand, en français on insulte un congénère d’idiotie, on lui reproche d’être un con, c’être à dire un vagin, en langue anglaise, on dirait un ass, soit un cul. Cela pourrait peut-être expliquer aussi les différentes vues économiques entre le monde méditerranéen et le monde hyperboréen.

Donjons et dragons

La légende de Beowulf, roi-guerrier scandinave, raconte l’histoire d’un dragon qui dévaste toute la province pour punir le vol d'une coupe en or par l'un des sujets du roi. A cette époque, et dans cette culture, les dragons étaient souvent les gardiens des tumulus, ces sépultures qui contenaient bien sûr des objets funéraires précieux. Le pillage de ces lieux sacrés était très mal vu dans la société du Moyen-Âge et la légende du féroce dragon est liée à ce tabou. Si on touche au trésor funèbre d’un défunt une vengeance s’abattra sur le royaume sous les traits d’un dragon redoutable.

Une autre histoire, un peu plus tardive, est celle du dragon Fafnir. La légende commence par un fils qui tue son père pour lui voler son trésor. Après avoir caché son larcin sous terre, le fautif se transforme en dragon pour le protéger. Mais son frère, forgeron de métier, ne compte pas laisser le meurtre de son père impuni, et forge alors une épée capable de terrasser le monstre qu’il confie à Sigurd, héros célèbre d'antan.

L’église chrétienne d’occident n’est pas en reste de tels héros, une cinquante de saints auraient terrassé des dragons. Georges de Lydda, dit saint-Georges, est le plus connu. A la fin du IIIème siècle, il n'était qu'un simple soldat chrétien de l’armée romaine, lorsqu'il tua un dragon qui terrorisait la population païenne de Lybie. Ces derniers se convertirent au christianisme en remerciement de sa bravoure. Le monstre était en fait une bande de pillards perses dont le chef ne s'appelait pas autrement que Nahfr, nom qui signifie serpent ou dragon.

Dans ces légendes chrétiennes, le dragon représente toujours le Mal personnifié. Il incarne ce que l’homme craint le plus, c’est-à-dire le Diable et l’Enfer. Dans l’art pictural du Moyen-Âge, l’entrée des enfers est représentée sous la forme d’une gueule de dragon grande ouverte. Dans l’Apocalypse selon Saint-Jean, un combat oppose déjà à un dragon l’archange Michel, dragon qui n’est autre que Satan, « le grand dragon, le serpent ancien, appelé le Diable et Satan, celui qui séduit toute la terre ».

S’il y a si souvent des substitutions entre le dragon et le serpent c’est qu’en grec ancien, le mot dracon signifie « celui qui regarde fixement », un peu comme Kaa dans le livre de la jungle. Au départ, il définit tous les serpents nom venimeux de grande taille. Une symbolique qu’on retrouve ailleurs dans la Bible, comme dans la Genèse, puisque les traductions sont d’abord passées par le grec ancien avant d'aboutir aux langues modernes. Donc Mal, serpent et dragon sont une seule et même entité. C’est ainsi le cas de Tiamat dans le panthéon babylonien ou d’Apophis chez les Egyptiens.

Dans les entrailles de la Terre

Dans la mythologie nordique, Jörmungandr est un serpent de mer géant qui entoure toute la planète. La violence des flots, la géographie escarpée des fjords nordiques et les volcans cracheurs de feu semblent confirmés cette légende, des dragons menaçants dorment sous les pieds des scandinaves. Si l’idée d’un animal aux proportions titanesques supportant le globe terrestre se retrouve dans de nombreuses cultures, il n’y a que dans le monde méditerranéen et hyperboréen que les dragons crachent le feu.

Dans le monde asiatique, ceux-ci sont des créatures aquatiques, relevant de l’élément aqueux. La principale raison est que, dans l’Antiquité, les Occidentaux expliquaient les phénomènes géologiques par l’action de monstres chtoniens. Par exemple, dans l’Odyssée, l’histoire du Cyclope avec son œil unique pourrait représenter l’Etna, le volcan sicilien, car, en grec ancien, cyclope signifie « œil rond » et non « œil unique ». Un vers d’Homère décrit même l’œil de Polyphème, fils de Poséidon, l’illustre ébranleur de la Terre, qui grésille sous la flamme quand Ulysse et ses hommes le lui crèvent. D’ailleurs, pendant longtemps, l’Etna a été surnommé l’œil du cyclope.

Les dragons cracheurs de feu ont donc pour source d’inspiration les volcans. Ceux-ci ont toujours été vu comme une entrée, une bouche des enfers, bouche qui crache du feu. Seulement, dans l'inconscient, tout concept contient en lui-même son opposé, une entrée et aussi une sortie. Or, dans les chambres magmatiques volcaniques, il y a ce qu’on appelle des phases aqueuses qui contiennent de l’or dissout qui forment ensuite, en remontant à la surface, les filons aurifères. Ceux-ci peuvent aussi être propulsés hors des cratères lors des mouvements éruptifs. Là où fume un volcan, il y a de l’or à prendre et les volcans les plus lucratifs peuvent receler jusqu’à 1300 tonnes d’or. Voilà pourquoi il faut tuer le dragon, parce qu’il garde un trésor.

Si Héraclès tue le serpent Ladon c’est pour pénétrer dans le jardin des Hespérides et ainsi cueillir les pommes d’or, si Sigurd tue Fafnir c’est pour s’emparer de son trésor. Mais petit à petit, sous l’influence chrétienne, les choses vont évoluer. Posséder de l’or pour sa propre puissance n’est plus bien perçu, c’est faire preuve d’avarice, péché capital, élément diabolique. Or, le diable n'est rien d'autre que la personnification de la vie pulsionnelle inconsciente refoulée, notamment cette phase anale qui nous pousse à la rétention de nos selles comme autosatisfaction, fixation transmuée chez l’adulte en avarice, ce fait de retenir au maximum son argent comme satisfaction auto-érotique, pour en tirer un plaisir presque pathologique, se faisant ainsi le dragon de ses économies.

D’ailleurs, les Dragons de l’économie se nomment eux-mêmes les Tigres de l’économie, mais ceci est une autre histoire.