L'Interprétation des rêves
La perte d'une dent
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Un psychanalyste n’a d’autre dessein que de conduire la cure. Or, il arrive, au bout de quelques mois, qu’un patient apporte comme matériel un rêve qui lui colle à l’arrière de la calotte et infuse dans son esprit un électuaire sans fiel, tels ces refrains de chansons des années 80. Mais avant d’analyser un rêve, il faut se demander si celui-ci en vaut vraiment la peine. Généralement, l’analyste s’évite cette tâche partiale car le patient opère lui-même la sélection. Comme une intime conviction, aussi rationnel et cartésien peut-il être au quotidien, ce songe tente de lui révéler quelque chose de lui, mais quoi ?
Notre activité cérébrale nocturne confronte deux conceptions quant aux fruits de ses soubresauts : pour les plus mystiques, les rêves véhiculent un message, envoyé par une entité supérieure, peut-être donc prémonitoire ; pour les plus orthodoxes, ils n’ont aucune utilité, ne sont que des scories solipsistes. Les scientifiques se sont toujours intéressés aux mécanismes de ces délires du crépuscule – plutôt de l’aurore – mais ont laissé de côté l’idée ubuesque d’y accorder du sens. Ce, jusqu’à l’arrivée de la psychanalyse. Celle-ci a servi de pierre d’achoppement aux neurophysiologistes, orientant leur travail soit vers une confirmation des thèses freudiennes, soit leur réfutation.
On a dit que le rêve sert à construire, organiser la mémoire ; ou, au contraire, à purger le cerveau d’informations dont il ne sait que faire, une machine à oubli. Pour la psychanalyse, le rêve est le gardien du sommeil permettant la réalisation hallucinatoire d’une pulsion qui se ferait plus insistante alors que la vigilance de l’individu diminue quand il dort. D’autres ethnologues affirment que l’idée d’une âme, avant même son sens religieux, serait apparue pour expliquer pourquoi des défunts apparaissaient en rêve alors qu’on les savait bel et bien enterrés.
Un dictionnaire universel
L’interprétation des rêves ne date pas de 1899 avec la parution du livre de Freud, la fameuse Interprétation des rêves. Non moins célèbre est la Clef des songes d’Artémidore de Daldis, écrite au IIème siècle. Mais les plus vieux documents relatifs à ce sujet remontent au IIème millénaire avant J.-C., autrement dit, la nuit des temps. Disons qu’elle a pris un nouveau virage avec la psychanalyse, en se débarrassant des déités et autres êtres surnaturels pour ne devenir qu’une simple expression de l’inconscient. Le rêve a subi un lifting, un processus de rationalisation, sous-tendue par une laïcisation, qui trainait déjà depuis un moment dans les milieux scientifiques.
Dans cette optique, l’interprétation freudienne ramène les contenus latents du rêve à des fantasmes originaires universels qu’il devient alors possible de cataloguer à mesure que l’on acquiert une banque d’exemples suffisante. Or, c’est là que le bât blesse. Il n’existe pas de rêve typique. Des thèmes récurrents certes, mais chacun trempe le pinceau de sa singularité pour dépeindre des évènements que nous vivons tous en tant qu’humain.
De plus, le contenu des rêves dépend de maintes variables, l’âge du rêveur, son sexe aussi. Les enfants rêvent d’avantages d’interactions émotionnelles avec les membres de leur famille, des amis ou animaux, alors que les adultes rêvent de leurs semblables. Les rêves adolescents sont truffés des mêmes interactions, surtout avec des membres du sexe opposé ou des personnes éminentes. Rêver d’un défunt a aussi une signification radicalement différente lorsqu’on est jeune adulte en période de deuil ou que l’on soit veuf se sachant faiblir. La charge émotionnelle ne sera pas identique. Ce qui sera très éprouvant pour le premier, sera une visite réconfortante pour le second.
Rêve de perte de dents
Artémidore consacrait déjà tout un chapitre à ce sujet. Pour lui, la bouche est une maison, les dents du haut correspondent aux habitants de statut supérieur (parents, ancêtres), et ceux du bas, aux subalternes (descendants). Une dent qui se déchausse du maxillaire signifie donc un décès, mais une naissance quand elle tombe de la mandibule. Mais cette interprétation ne tient que dans un monde où il y a un parallèle entre l’humanité et la denture, ce qui est le cas dans le monde antique, comme le montre le mythe de la création de Thèbes avec Cadmos qui terrasse un dragon dont il récupère les dents pour, sur l’ordre d’Athéna, les planter en terre. De ces dents surgirent les ancêtres des premiers habitants de Thèbes, les Spartoï – signifiant « hommes semés ». Telle est aussi l’origine du mot autochtone, celui qui est « originaire de la terre ».
L’Interprétation des rêves de Freud reprend cette équivalence, puisqu’à son tour, il propose d’interpréter la perte de dents comme référence à une naissance avant de trouver cette analogie correcte « qu’en un sens farfelu ». La perte de dent reste pour lui le symbole d’une castration, puisque l’immense majorité des symboles dans le rêve sont, pour lui, sexuels. Mais que ce soit Freud, Jung, la tradition juive ou arabe, tous s’accordent à dire qu’il s’agit là d’un avertissement quant à un renouveau.
D’autres sont venus ajouter une pierre à l’édifice, surtout pour confirmer cette interprétation, par des observations issues de différentes disciplines, comme l’anthropologie. Dans son évolution, l’homme a perdu ses canines proéminentes pour vivre en communauté, signe de polissage de nos rapports sociaux. Perdre une canine en rêve exprimerait alors la perte d’un proche.
Cauchemars
Les cauchemars sont un type particulier de rêve. On en distingue deux sortes : ceux qui surviennent lors du sommeil paradoxal – comme la majorité des rêves – et ceux lors du sommeil lent profond, caractérisé par une forte charge anxieuse pouvant aller jusqu’aux terreurs nocturnes.
Lors du premier Conflit mondial fut décrite la névrose de guerre, qui deviendra la névrose traumatique, plus connue aujourd’hui sous le terme de syndrome de stress post-traumatique. Lorsqu’un être humain subit un évènement au cours duquel il se voit mort, où sa mort apparaît la seule éventualité logique, ne serait-ce qu’un court instant, il en garde de graves séquelles psychologiques. Et, parmi la symptomatologie du PTSD, il y a des cauchemars. Ces derniers sont le revécu constant de cet épisode traumatique, sans modification, jusqu’au réveil en sueur de l’individu.
Mais le cauchemar peut se révéler thérapeutique. Comme le rapporte Tobie Nathan, dans La Nouvelle interprétation des rêves, des psychiatres militaires ont émis l’hypothèse, durant la seconde Guerre mondiale, d’aller à l’encontre de la tendance du patient à éviter à tout prix de s’endormir, de se préserver de ces épreuves cauchemardesques. Ils recommandèrent de dormir, voire forçaient la survenue de ces horribles rêves à l’aide de barbituriques. Au bout d’un certain temps, les psychiatres notaient la survenue d’un rêve résolutoire qui signait alors la fin des terreurs nocturnes.
Les rêves de patients dépressifs, ou au bord d’un épisode de ce type, sont caractérisés eux aussi, par le fait qu’ils ne sont qu’une pâle copie de la réalité. Encore une fois, les médecins militaires ont remarqué qu’un soldat qui rêve du front sans aucune sorte d’élaboration supplémentaire, cette bizarrerie dont les rêves sont fait, doit être absolument rapatrié à l’arrière au risque d’une décompensation. C’est d’ailleurs devenu un élément diagnostique.
Une hypothèse veut que rêver de menaces effrayantes nous aide à les éviter. Les rêves récurrents de personnages ou d'environnements précédemment rencontrés ont probablement pour fonction d'ajuster, de maintenir ou de modifier l'architecture cognitive du rêveur.
Qu’en dit le rêveur ?
Un grand nombre d’études (Stickgold, 1999 ; Cai, 2009 ; Barsky, 2015) démontre que l’alternance de cycles des différentes phases de sommeil, notamment la survenue périodique de sommeil paradoxal, permet l’occurrence d’associations moins flagrantes dans le but de prédiction d’évènements dits probabilistes. Par exemple, si on considère la suite de mots « filer », « danseur » et « lumière », les personnes réveillées à l’issue d’un sommeil paradoxal sont plus à même, que des personnes alertes ou réveillées à un autre moment, de trouver le concept qui les relie tous : « étoile ».
En sommeil paradoxal, du fait du cortex préfrontal dorso-latéral désactivé (région qui gère la perspicacité personnelle, la rationalité et le jugement), nos cerveaux identifient des associations plus distantes ou des schémas non évidents entre des personnes, des lieux et des événements de la même manière qu’il associe mieux associer le mot « étoile » avec « filer », « danseur » et « lumière ». Mais la meilleure façon de se rappeler que « étoile » est associée à ces mots est de les combiner en une image : un danseur qui fait de la couture dans le faisceau d’un spot, par exemple. Les images de rêve nous semblent bizarres, au réveil, parce qu'elles associent des éléments d'expériences différentes pour identifier un unique pattern.
C’est là que se situe l’interprétation des rêves. Car celle-ci n’est pas une explication, ni la résolution d’un rébus, mais bien de savoir pour quel motif l’élément étoile s’est détaché dans une production cérébrale, qui coûte au corps une énergie folle. Et cela, seule une discussion avec le rêveur peut nous l’apprendre.
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