Psychanalyse de Donald J. Trump

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Psychanalyse de Donald J. Trump

Il est de règle établie qu’éventer les affres d’un patient équivaut à rompre le secret professionnel. Mais n’est-il pas pis faire encore que de pérorer sur une personne jamais rencontrée ? Déontologiquement, c’est pas terrible. Pourtant, un colloque de vingt-sept professionnels de santé s’est regroupé autour du Dr. Brandy Lee, psychiatre à l’université de Yale, pour écrire The dangerous case of Donald Trump. Aussitôt a été brandit le drapeau rouge de la Goldwater rule.

En 1964, le sénateur d’extrême-droite Barry Goldwater se lance dans la course à la Maison Blanche. Candidat à la gâchette nucléaire facile et soutenu par le KKK, le magasine Fact publie alors un numéro où moults psychiatres arguent que celui-ci est inapte à être président. Si Goldwater a perdu l’élection, il a, en revanche, gagné son procès pour diffamation. En réponse, l’American Psychiatric Association déclare que donner un avis professionnel sur une figure public, sauf examen sur la personne, est contraire à l’éthique.

Après la sortie du livre du Dr. Lee, cette même agence durcit le ton, en disant qu’il est également non éthique de donner une opinion professionnelle en se basant uniquement sur des émotions, des gestes et des discours. Ainsi, au risque de vous décevoir, vous ne trouverez pas ici une psychanalyse du quarante-cinquième président des Etats-Unis, mais plutôt la description de traits de caractères qui peuvent se reconnaitre chez le quidam à l’angle de la rue ou chez un notable de Washington.

Narcisse et le bureau oval

Dans le langage courant, le narcissisme est le fait de s’admirer constamment dans un miroir à l’image de Narcisse amoureux de son reflet dans l’eau placide du ruisseau. En psychanalyse, il s’agit plutôt de l’amour porté à l’image de soi, et cette dernière n’a rien à voir avec le reflet de la glace, thème central chez Lacan. Rentrer dans le détail serait fastidieux quant à la légèreté que je veux imprimer dans ces billets, gardons simplement à l’idée que le narcissique a avant tout un rapport biaisé à l’image qu’il a de lui-même.

Le narcissisme est donc un état douloureux où la personnalité n’est qu’apparence, où règne « l’anesthésie, le vide, le blanc », selon Green. Cet état est issu d’une carence, une déception – réelle ou imaginaire – vis-à-vis des parents, la perte de leur amour, qui fait que le narcissique n’a plus que lui-même à aimer. Son premier réflexe est alors de combler ce vide par une réalisation hallucinatoire de son désir. Car le narcissisme n’est, tout compte fait, qu’une tentative de reliaison, bernée par l’illusion de l’auto-suffisance, où l’obsession de l’apparence ne sert que de cache-misère.

En réponse à ce mal-être, à forte autodépréciation inconsciente, on parle de retraite narcissique, c’est-à-dire tendre à effacer l’Autre dans son désir de n’être qu’Un, réduire ses relations objectales au minimum vitale. De façon chronique, le narcissique crée une carapace protectrice, « au prix d’une sclérose qui mine le plaisir de vivre ». Froideur, distance, indifférence sont son bouclier. Il renie jusqu’aux structures de parenté. Green dit qu’il soutient « l’illusion de l’An-Œdipe ». Quid alors des allusions scabreuses de Trump envers sa fille et du dénigrement de son fils aîné, Donald Trump Junior. Son lien de famille est si évanescent à ses yeux, que la référence incestueuse ou méprisante ne l’effleure même pas.

De plus, dans son optique de refuser le monde, la dynamique narcissique use de mégalomanie. Etat tout à fait normale dans la petite enfance, la mégalomanie n’est ni plus ni moins qu’un refus de considérer les autres comme ayant la moindre importance. Elle affranchie les tensions contractuelles résultant du dénie du plaisir que procure les relations humaines, et camoufle toujours une agressivité car, comme le notait Adler, elle ne fait que recouvrir un sentiment d’infériorité.« La poursuite fiévreuse du succès » n’est qu’un exemple de cette tentative désespérée à combler cette carence.

L’argent n’a pas d’odeur

Pour faire court quant à la théorie, dans son développement, l’intérêt affectif de l’enfant pour les autres humains est dirigé sur certaines parties du corps humain car il ne peut pas encore saisir la personne dans sa totalité. Au début, il y a la phase orale, jusqu’à l’apparition de la dentition ; puis la phase anale, jusqu’à la maîtrise des sphincters striés. Or, à ce dernier stade, l’enfant a arrêté de téter et est passé à la nourriture solide, ceci engendre une sollicitation accrue de sa zone pudendale. La défécation s’accompagne d’une réponse cérébrale en investissement d’affects positifs – comme ce que l’on ressent en urinant après une longue retenue. L’enfant prend du plaisir à se rendre maître de son corps, par l’évacuation ou la rétention de ses selles. Il constate aussi que son entourage y réagit, le félicite ou le gronde, selon son activité excrétoire.

Dans sa Psychopathologie du chasseur d’occasion, Edmund Bergler décrit le profil de celui qui recherche le best deal, la bonne affaire, celui-ci est dit fixé à la phase orale. Il apprécie acquérir, si l’acquisition est au détriment du vendeur, et savoure payer moins cher qu’il n’aurait dû, il aime berner les autres. Cela se produit chez les êtres humains sevrés trop tôt, qui n’ont pas eu le loisir de téter à suffisance. Adultes, ils deviennent de vrais pillards. Ce sevrage précoce provoque aussi une haine de l’autre, motivée par le sentiment que personne ne les aime puisqu’on les a soustrait de force au plaisir intense de la succion du sein.

Ensuite, survient la phase anale. Si fixation il y a là, cela aboutit à une catégorie de personne que Freud a décrite comme « ordonnée, économe et entêté ». Celui à qui on a appris trop précocement la propreté, trop vite posé sur le pot et pendant des heures, ces parents qui forcent la vidange de leur enfant, en faisant tout un pataquès au sujet de la saleté. Adultes, ils considèrent les autres avec méfiance, persuadés que tout le monde veut les déposséder de la même manière que leurs mères les a dépossédé de leurs matières fécales. Ces personnalités prennent plaisir soit à dépenser leur argent, le dilapider, ou, au contraire, thésauriser. L’argent devient un substitut de cette libido qui leur a été soustraite dans leur enfance. Le rapprochement entre les fèces et l’argent pourrait être le thème d’un prochain billet mais pour l’heure, partons de ce postulat.

Or, il est courant qu’un névrosé anal élabore sa réponse adaptative à son mal-être dès la phase orale. Car ces deux stades n’ont pas de franches frontières. On arrive alors à un genre de personnage qui aime la compétition, être le meilleur, acquérir la jouissance de tout ; qui se plait aussi à jouer les mécènes à des institutions qui mentionnent leur nom comme donateur. Le fait que Trump appose son patronyme partout est une composante sadique, l’agressivité mégalomane camouflée, de son besoin d’accumuler et de garder en sa possession un maximum de biens. En gros, il reste le propriétaire des denrées dont le monde profite, une façon hallucinatoire de croire que ce monde l’aime.

Un enfant au sein d’une famille

Sören Kierkegaard est un philosophe danois, fils d’un métayer très religieux, stricte et austère « qui fut, à vues humaines, une folie », dira son fils. Ce père se croyait maudit par Dieu, et le jeune Sören prendra cette malédiction à son compte, obsédé par le sentiment de péché et l’idée de la prédestination du malheur. Kierkegaard est connu pour être le précurseur de l’existentialisme, un des trois grands penseurs de l’angoisse avec Heidegger et Sartre, qu’il définit comme le vertige de la liberté, l’homme du paradoxe, c’est-à-dire de la synthèse des contraires existentiels. Sur les neuf frères et sœurs de la fratrie, seuls Sören et un frère survivront, les sept autres n’ayant pas dépassé l’âge de 33 ans.

Daniel Paul Schreber est un juge fédéral allemand, fils d’un célèbre pédiatre et hygiéniste. Son cas est très connu dans la littérature psychanalytique. Il devint fou à 42 ans à l’occasion d’une candidature perdue pour le Reichtag, et huit ans et demi plus tard, il sombra à nouveau. Son père Daniel Gottlieb Moritz Schreber était un médecin très impliqué dans la politique sociétale éducative de son époque, auteur de nombreux ouvrages sur la question, ainsi qu’inventeur de tout un attirail d’appareils de torture pour sauver les enfants des dangers physiques, mentaux et moraux. Sur cinq enfants, pauvres cobayes de ses théories, ses deux fils devinrent fou, et un se suicida.

Donald Trump est le quatrième d’une fratrie de cinq enfants. Maryanne est l’aînée, décrite comme « très intelligente et très dure », ensuite vint Freddy, pour Frederick Christ Trump Junior, censé être l’héritier de l’empire Trump. Puis naquit Elizabeth, et enfin Donald, alors que Freddy avait 8 ans. Le père, Frederick Christ Trump Senior, est décrit comme un patriarche, travailleur forcené, accro au travail, perfectionniste, mais aussi autoritaire et « dur comme l’enfer ». Grand mécène qui finançait beaucoup d’établissements qui portent désormais son nom.

Donald se révéla rapidement un enfant agressif. Dans The Art of the Deal, il se vante d’avoir frappé un professeur à l’œil au cours élémentaire. Il devint vite le fils préféré, car il s’est avéré que Freddy n'avait pas cet instinct de tueur nécessaire dans les affaires immobilières new yorkaises, une déception pour son père. Donald avoue, « il y avait inévitablement des confrontations entre les deux. Dans la plupart des cas, Freddy en sortait perdant. » En revanche, lui, revendique n’avoir « jamais été intimidé par [son] père, comme l’était la plupart des gens », avant d’ajouter « Je me suis levé contre lui, et il a respecté cela. Nous avions une relation presque professionnelle. » La violence de son comportement n’était donc qu’une réponse adaptative à cet environnement familiale dur, pour survivre il fallait se montrer agressif. Freddy est décédé en 1981 des suites d’un alcoolisme sévère, toujours en quête d’une approbation de son père, laissant deux enfants, un garçon et une fille, du nom des grands-parents, Mary Anne et Frederick Christ Trump III.