Psychologie de la timidité
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Dans son ouvrage In defense of women, H. L. Mencken, le Nietzsche américain, dit que « le seul caractère qui distingue l’homme des autres vertébrés supérieurs est une timidité excessive, sa faculté de s’alarmer, et son incapacité de se lancer dans l’aventure sans une foule derrière lui ». De son côté, dans Appologia diffidentis, W. C. Leith, pionnier timide de l’anthropologie, écrit qu’entre les gens timides « et le meilleur monde qui soit il y a comme un mur de cristal que la petite voix rassérénante de la confiance en soi ne peut pas traverser. »
La peur de parler en public, ou glossophobie, est très répandue. Mais la phobie diffère de la timidité. Imaginez un professeur d’université en train de donner un cours magistral dans un amphithéâtre plein à craquer, qui le penserait glossophobe ? Mais on l’interpelle du flanc gauche de l’auditoire, un peu abruptement, et le voilà hors de sa performance plénière. Ses sangs se glacent alors, une tentative calamiteuse pour répondre mélange une syntaxe crocheteuse et des silences mortifiant. Le timide est découvert
Quelle en est l’origine ?
Dans les années 1970, un sondage suggérait qu’entre 10% et 15% des enfants naissaient timides, plus craintifs, moins réceptifs socialement, réagissant à des situations un peu stressantes avec un rythme cardiaque plus rapide et des taux de cortisol sanguin plus élevés que les autres. A la même époque, Stephen Suomi, éthologue dans un centre animalier du Maryland, retrouve les mêmes pourcentages chez les bébés singes, avec les mêmes augmentations du rythme cardiaque et du cortisol dans le sang. Comme réaffecter ces bébés à des mères plus extraverties ne change rien, il a donc pensé que la timidité était héréditaire. Tel l’être humain, les grands primates sont pourtant des créatures sociales, programmées pour chercher à se rencontrer et s'accoupler.
Déjà Darwin voyait dans cet « étrange état d’esprit » un casse-tête pour sa théorie, car la timidité ne semble apporter aucun avantage évolutif à l’espèce. Mais Suomi a pu mettre cette utilité en évidence au cours d’un accident. Un trou s’étant formé dans le grillage de l’enclos des singes, l’occasion était trop belle pour eux de s’enfuir. Tandis que les timides n’ont pas tenté l’aventure, les plus audacieux se sont échappés pour se faire malheureusement percutés par un camion en traversant la route.
Il peut donc s’avérer utile de faire preuve de prudence et d'éviter les risques. Or, pour Antonio Damasio, professeur de neurosciences à USC, la timidité est une émotion secondaire, donc configurée par l'expérience, laissant ainsi place à un énorme champ de conditionnement culturel, de variation historique, mais aussi d'ambiguïté définitionnelle.
Un travers de la culture
Si la timidité s'adapte aux contextes, alors elle a dû prendre ses formes oppressives avec l'émergence de la conception moderne de la vie privée et de l’intimité. Il y a encore cent ou deux cent ans, la vie était plus collective, dans les villes tout du moins. Il n’y a qu’à voir les récits des familles réunies dans peu de pièces chez Balzac ou Hugo ou encore les chroniques de Dolto sur la promiscuité dans les deux-pièces-cuisine de Paris. Une promiscuité immanquablement génératrice de frustrations mais étouffée dans l’œuf à cause de l’exiguïté de l’espace de vie.
Or, la frustration endiguée a un effet pathogène, elle est génératrice d’un agressivité qui doit s’exprimer pour ne pas être somatisée, sur le corps de l’individu ou dans son esprit où elle se dépose tel un brouillard sur l’intelligence. Selon Dolto, la timidité est justement le retournement sur soi d’une violence libidinale difficile à assumer, et pour cette raison projetée à l’extérieur. Le timide a peur qu’on s’en prenne à lui à la hauteur de l’agressivité séductrice qu’il nourrit pour les autres. De plus, dans un monde aux barrières physiques et psychologiques plus lâches, il y a, de fait, plus de possibilités de maladresse et d'embarras dans les interactions humaines.
En 1971, Philip Zimbardo a dirigé la fameuse expérience de la Stanford Prison Study, où des étudiants volontaires jouaient les rôles de prisonniers et de détenus dans le sous-sol du bâtiment de psychologie, transformé pour l’occasion en prison. L'étude a dû être arrêtée parce que les gardiens devenaient brutaux et les étudiants-détenus s'adaptaient en internalisant leurs positions subalternes et subissaient sans broncher. Par la suite, Zimbardo a comparé les timides à des captifs d’une prison silencieuse dans laquelle ils jouent aussi leurs propres gardiens, s’imposant de sévères contraintes langagières et comportementales inconscientes.
Zimbardo a aussi été le pionnier de la tendance moderne à considérer la timidité comme une pathologie remédiable. Redéfinie en « trouble d'anxiété sociale » selon son niveau sur la Cheek & Buss Shyness Scale ou la Social Reticence Scale, la timidité est traitée avec des médicaments tels que le Seroxat, qui augmente les niveaux de sérotonine, comme le Prozac. Cela faisait alors partie d'un mouvement plus général en psychiatrie de traiter médicalement les traits de caractères jugés gênant.
Timide ou introverti
Il faut cependant faire la différence entre introversion et timidité. Les introvertis sont des gens dont les cerveaux sont sur-stimulés lorsqu'ils restent au sein d’une foule longtemps. Sous peine de se sentir épuisés, ils ont besoin de faire des retraits fréquents de la vie sociale afin de traiter et de donner du sens à leurs expériences. L’introversion est donc plus certainement soumise à une influence génétique En revanche la timidité est un réel désir de connexion avec d'autres personnes gâté par la peur (d’être découvert dans leurs intentions) et la maladresse (de contrevenir aux savoir-faire tacites).
Dans une culture qui valorise le dialogue comme un idéal ultime, la timidité nous rappelle alors que toute interaction humaine est pleine d'ambiguïté, et qu'insécurité et doute de soi sont naturels. Le cerveau humain est un objet complexe et le passage d'un cerveau à l'autre est d’autant plus difficile.
Toutefois, cette agressivité projetée puis retournée sur soi qui caractérise les timides peut avoir un point positif, en cas d’évènement dramatique, puisque ce sont ceux qui sont héroïques. On le sait dans l’histoire. C’est toujours les gens les plus timides qui deviennent des héros absolument stupéfiants. Car au regard de ces situations désagréables, ils cessent enfin de renverser contre eux-mêmes leurs pulsions libidinales pour s’adonner à des expressions salvatrices.
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