Psychologie des théories du complot
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Psychologie des théories du complot
Laissez-moi vous présenter Gédéon. D’une espèce rare, il est ce qu’on appelle de nos jours, un "platiste", c’est-à-dire qu’il est le fervent partisan d’une terre plate, un disque bordé de hauts murs de glace. L’idée dominante et farfelue, lancée en toute inconséquence par Ptolémée, que la terre serait une sphère n’est qu’un complot ourdi par les grandes agences spatiales – au premier rang desquelles la captieuse NASA – dans le but de vendre des GPS et dominer le monde aérien. Nom de Zeus Marty, nous somme de retour en 1543 !
Toutefois, Gédéon n’est pas un adepte "platiste" dépourvu de réflexion, et il est tout sauf un théoricien de bas étage. A notre époque de la communication pléthorique, où l’on parle davantage d’apprendre à se dépatouiller dans cet excédent, on ne peut pas dire que ce soit du fait d’un trop peu d’informations qu’il tire de telles conclusions. Sur ce point, nous sommes tous logés à la même enseigne. La divergence d’opinion tient donc dans l’interprétation. « C’est évident ! » se fend-il de façon désarmante avant de rentrer dans le dur du sujet.
Un excès de crédulité
Démystifions toute de suite le bonhomme, Gédéon est bardé de fiers diplômes de l’enseignement supérieur, sa croyance n’a donc pas tant à voir avec son niveau d’éducation. A l’instar de cette doctorante de l’université de Sfax qui, en 2011, fut autorisée à soutenir une thèse intitulée « Le modèle plate-géocentrique de la terre, arguments et impact sur les études climatiques et paléoclimatiques », où elle avançait avec aplomb que la terre est plate et c’est le soleil qui gravite autour. Cela avait fait alors les choux gras de la presse.
N’en déplaise à Thomas Gilovich, qui diagnostique ici des « origines purement cognitives », des déficiences dans la capacité de traitement de l'information, les choses sont un peu plus compliquées. Mais abondons dans son sens pour l’instant. Car il est vrai que la capacité de raisonner peut être biaisée à plus d’un titre. Si certaines idées fausses ont parfois plus de succès que leurs consœurs raisonnables, c’est parce qu’elles capitalisent sur des processus intellectuels douteux mais attractifs. Attractifs parce que le cerveau est fainéant, ou plutôt économe, il privilégie toujours ce qui ne demande pas trop d’effort.
Le phénomène de la dissonance cognitive a été avancé, ainsi que, ce que Peter Wason appelle les biais de conservation, qui favorisent les informations allant dans le sens de notre vision du monde. La crédulité de Gédéon reposerait donc sur le biais d’agentivité, qui fait opter pour des propositions trompeuses mais intuitivement attractives, et le biais de confirmation, qui pousse à chercher des éléments cognitifs confirmant la représentation que nous avons du monde plutôt que des éléments la mettant en péril. La seule ignorance que l’on peut reprocher à Gédéon n’est que l’ignorance de soi.
Défier ses pairs
La tradition philosophique grecque nous a habitué à croire qu’une pensée élaborée ne peut provenir que d’un raisonnement logique, alors que nenni ! Mais quelles sont les raisons qui poussent Gédéon à croire que la terre est plate, qu’a-t-il à y gagner finalement ? A coup sûr, ses motifs sont irrationnels. Nous devons donc plonger dans sa personnalité, car certains traits de caractères jouent un grand rôle dans ce type de conviction.
C'est dans la nature de beaucoup de processus caractériels, dits de défense, que de ne pas ébruiter leur présence, on ne réalise pas les avoir alors qu’ils sont bien là, en nous, lovés dans notre for intérieur. Le pire est que, même depuis les basses-fosses sombres et moites de notre inconscient, ils influencent notre quotidien. Un moyen simple de les démasquer est de les dénicher chez les autres, car Freud disait, paraphrasant le Talmud déjà, on n’est jamais mieux à même de repérer chez les autres ses propres travers.
La conduite de Gédéon peut ainsi nous mettre la puce à l’oreille. Son entrain à expliciter sa croyance, à lister ses arguments et les étayer avec une ferveur quasi obsessionnelle, une ardeur un tantinet agressive. Ivresse propre aux fantasmes. Or, un fantasme s’installe d’abord sur la base d’un doute. Et le plus profond doute auquel est confronté l’individu concerne sa paternité. Un doute source de conflits intérieur, support d’un fantasme de meurtre, le meurtre du père dans le complexe œdipien. Les mythes et les légendes témoignent tous d’une scission de l’image du père. Alors quoi de mieux que de mettre à mal les institutions, de ne plus croire – meurtre symbolique – dans ces garants de l’autorité, qu’ils soient parentaux ou scientifiques ?
Les statistiques, effectuées par Ifop pour la fondation Jean Jaurès et Conspiracy Watch en décembre 2017, ne font pas de distinction selon le sexe, mais il y a fort à parier que les adeptes de ces théories sont plutôt des hommes. Dans le développement de l’enfant où, très tôt, les petits garçons inventent des jeux de compétition, alors que les filles inventent de préférence des jeux de coopération. En outre, elles souffrent peu de fantasmes de meurtre du père.
Le sentiment de communauté
Alors qu’on parle avec Gédéon, on a tendance à croire qu’il est bien seul dans son délire, à l’image du fou du village qui déblatère des rodomontades sur la place de la mairie, sans que personne n’y prête le sens. Or, il appartient à une véritable communauté, sur la toile certes, mais avec des signaux d’appartenance propres et la même violence d’exclusion envers les non-membres que n’importe quel autre groupe. Un vrai bouillon de culture digital car, avant d’être un outil de philosophie, la raison sert d’abord à conforter sa position au sein d’un groupe, parce que l’homme est un animal social.
Cette théorie peut donc être vue comme un mythe qui donne du sens au monde de Gédéon. Tels les complots du Capitale, des nababs de la Finance pour conquérir le monde sont aussi une tentative mythique – non basée sur des faits – pour humaniser ce monde de marchés boursiers et d’échanges globaux dans lequel nous vivons. Or, il y a un effet de dissonance cognitive qui entre en jeu, il y a de l’ambivalence là-dessous. Car on ne peut devenir soi-même qu'au sein d’un groupe support de notre développement, mais on prend alors le risque de ne devenir que ce que le groupe veut que nous soyons.
Stephan Lewandowsky décrit ce qu’il appelle "l’effet Trump", attestant que le sentiment d’appartenance prime sur la logique, quand des républicains se montrent plus enclin à croire des propos fallacieux du président, parce qu’il est lui aussi républicain. Il est intéressant de noter que ce sentiment d'appartenance devient plus intense et plus conscient en présence d'une autre personne qui pense différemment, comme si, selon les mots de Michel Serres, « toute complicité affective ne pouvait s'effectuer que sur le dos d'un tiers ».
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