Sandrine Rousseau est-elle hystérique ?

Pensez à effacer votre hystérique de navigation

5/16/202513 min read

Cécile Duflot essuie des bêlements pour une robe à fleurs, Clémentine Autain et Elsa Faucillon traitées de "petites connes", Mathilde Panot insultée de "poissonnière", ou encore Marine Tondelier et Sandrine Rousseau traitées de "salopes". Si l’insulte est monnaie courante en politique, c’est une course de fond de la condition féminine. Mais en quoi cela nous concerne-t-il ici ? Parce que cette dernière, nommément Sandrine Rousseau, a aussi été estampillée de "folle" et "d’hystérique". Et là, on retrouve un poncif psychanalyse : l’hystérie.

Freud l’a souligné, l’image de la femme se partage entre la Madone et la Putain, entre la Vierge Marie et Eve la fauteuse. Et si une femme ne se montre pas sous les traits de la gardienne du temple de la norme, alors elle est de l’autre camp, celui de l’immoralité. Et par un mépris de classe, ce sont bien évidemment les femmes du petit peuple qui sont ces Eves en puissance. Car les insultes sexistes ont bien souvent pour origine étymologique la notion de saleté, avec un saut de la saleté physique à la saleté morale.

"Pute" vient du latin putidus, qui signifie "puant, pourri, fétide", qu’on retrouve dans "putride". "Salope" désignait d’abord les personnes sales et malpropres. L’insulte n’est pas une métaphore, c’est une métonymie. Elle n’a pas besoin d’être offensante, il suffit qu’elle soit systématique. Comme lors du débat présidentiel opposant Ségolène Royal à Nicolas Sarkozy, ce dernier a employé plus d’une centaine de fois l’apostrophe "Madame", renvoyant son opposante à son sexe, contre seulement quelques "Monsieur", trop respectueux. Ces insultes renvoient toujours les femmes à leur territoire de parole, et sont des injonctions à se taire.

1° Jadis et naguère… l’utérus

Entre -27 000 et -31 000 ans, c’est l’époque des Vénus. Vénus de Willendorf, de Laussel, de Sireuil, de Brassempouy, de Grimaldi, j’en passe et des plus belles. Partout dans le monde préhistorique, les "divinités" sont féminines et lunaires, déesses de la Fertilité devenues ensuite déesses de la Terre ou de l’Amour, représentées avec un croissant sur la tête. Ayant constaté la coïncidence entre cycle menstruelle et cycle lunaire, les femmes constituèrent les premiers calendriers de l’humanité, composés de 28 marques parallèles sur des morceaux de bois ou de corne. Ceci dans le but de prévoir la survenue des règles et, par incidence, les grossesses.

Puis il y a eu un renversement au néolithique. Un revirement vers des figures divines masculines. Lié à la maîtrise de la métallurgie, mais surtout à l’apparition de l’agriculture et la sédentarité qu’elle impose. Or, la disposition spatiale des groupes humains a toujours révélé une ségrégation homme/femme : dans les sociétés nomades, il y avait un espace masculin et un féminin à l’intérieur des habitations. En Grèce antique, le domicile était féminin et le monde extérieur masculin. Mais il serait hâtif de penser que les femmes ont acquis plus d’autonomie et d’indépendance au cours d’un processus linéaire d’émancipation. Il y a eu des périodes d’expansion et d’autres de rétractation.

On trouve des descriptions de l’hystérie dès la Haute Antiquité, en Egypte. Le premier modèle explicatif est issu d’Hippocrate qui incrimine l’utérus – d’où elle tire son nom, hustéros. Les souffrances proviendraient d’un utérus migrant dans le corps en quête d’humidité, occasionnant divers symptômes. Selon cette théorie dite des humeurs, le rire de la femme vient également de son utérus, quant aux poumons pour des hommes. On dit aussi qu’elles ont un cerveau d’enfant, mou, qu’elles gardent plus longtemps, ce qui les indispose aux choses intellectuelles. « Tota mulier in utero », « la femme est toute entière dans l’utérus », dit la formule, résumant cette pensée antique phallocentrée. Non seulement, le corps féminin est dénigré, mais elles n’ont pas non plus voix au chapitre dans la cité.

Mais alors que la mythologie rapporte des personnifications féminines de la colère, les femmes grecques n’ont pas le droit d’en éprouver, moins encore de l’exprimer. Il y a donc quelque chose dans l’expression orale féminine qui dérange, mais quoi ? Anne Carson a montré, dans The Gender of Sound, que c’est par sa voix que la femme est exclue de la société. Aristote explique que celle-ci est plus faible parce que les ovaires ne sont pas descendus, comme le sont les testicules ; ainsi est-elle dissonante, trop aiguë, insupportable. Ceci est en réalité dû aux hormones, la hauteur de la voix dépend des niveaux d’œstrogènes. La voix aiguë de la femme révèle sa fertilité mais aussi sa vulnérabilité. Raison pour laquelle Margaret Thatcher a pris des cours de diction pour faire descendre sa voix. Les hommes ont une voix basse et forte, une voix de Stentor, propre à l’éloquence public ; les femmes une voix sur laquelle elles poussent, des hystériques ! La prise de parole est affaire de pouvoir.

Jusqu’à très récemment, la science pensait même le corps féminin comme inachevé. C’est peut-être encore enseigné à l’université aujourd’hui. Le sexe féminin serait un « sexe par défaut » - dixit une professeure SVT – car c’est par l’expression du seul gène SRY, sur le chromosome masculin Y, que les gonades descendent dans le sac testiculaire. Ce gène, dont les femmes sont dépourvues, parachèverait ainsi la formation de l’organe sexuel, et donc du corps. C’était sans compter la nouvelle découverte du gène WT1 sur le chromosome X, qui a lui aussi un rôle actif dans la formation de l’ovaire, mais ceci est une autre histoire…

2° Charcot… moment charnière

Le professeur Charcot, de la Pitié-Salpêtrière, hôpital parisien historiquement en charge de l’hystérie, incarne un premier moment de bascule. Il est neurologue et affirme que l’hystérie est une maladie neurologique. Il lui chercha des lésions dynamiques qu’il ne trouva jamais, mais tout de même il veut que cela se sache. Et surtout, il fut le premier à dire que l’hystérie existe aussi chez l’homme. Une hystérie masculine qu’on retrouve particulièrement parmi les artisans, les ouvriers – surtout les ouvriers du chemin de fer –, les parias, la lie de la société en somme. Ce qui correspond peu ou prou aux conceptions sociales et politiques de la troisième République. Toutefois, hommes et femmes n’usent pas leur corps en société de la même façon.

Les femmes internées dans son service sont aussi issues du peuple laborieux. Elles n’ont absolument aucun espace de parole dehors, et leurs crises sont spectaculaires comme si elles révoquaient de cette manière cette aliénation, pour enfin faire entendre leur souffrance. Malheureusement, elles ne sont pas très présentables. Alors, dans le but de mettre en avant ses travaux, Charcot sélectionne parmi elles les plus seyantes. Et ça marche ! Il y avait ainsi un côté spectacle, qui déborda même de l’hôpital, jusque dans les revues de charmes ! Les patientes savaient qu’elles étaient sélectionnées, qu’il y avait une attente du public, elles ne pouvaient pas faire n’importe quoi. Et certaines vont devenir actrices ou danseuses, telles Jane Avril qui va rejouer l’hystérie au music-hall.

« Celui-ci me fit admettre à la Salpêtrière dans le service du grand professeur Charcot parmi les grandes étoiles de l’hystérie qui, à ce moment-là, faisaient fureur. […]. Qu’elles se donnaient de peine afin d’attirer sur elles l’attention et de conquérir la vedette ! C’était à celle qui trouverait du nouveau afin d’éclipser ses semblables, lorsqu’autour de leur lit un nombreux groupe d’élèves que précédait Charcot suivait avec intérêt leurs extravagantes contorsions, arcs de cercle, acrobaties variées et autres gymnastiques. […]. Dans ma petite jugeote, je m'étonnais chaque fois que d'aussi éminents savants pussent être dupés de la sorte, quand moi, si petite pourtant, je connaissais leurs comédies ! » Jane Avril, Mes Mémoires

Néanmoins, Charcot procède en médecin. Il décrit les étapes de la crise hystérique : 1) l’aura, le calme avant la tempête ; 2) le coup de fouet, un cri ; 3) les convulsions, ce qu’il appelle le clownisme ; 4) la phase orgasmique, pendant laquelle se produit le grand arc hystérique ; et 5) une période de délire, pendant laquelle la patiente parle beaucoup (mais tout le monde s’en fout à l’époque). Ces phases sont reproductibles sous hypnose, ce qu’il va exhiber dans ses cours. Charcot déclenche des crises sur demande, fait passer les paralysies d’un membre à un autre, il déparalyse, etc… mais c’est plus un jeu qu’un soin, surtout que ça ne dure pas.

Françoise Dolto dénoncera ce comportement, disant de lui qu’il s’occupait de femmes en souffrance, souffrances diverses, « de sorte qu’elles devenaient des hystériques ». Mais une nouvelle donne est sur la table. Désiré-Magloire Bourneville, qui travaille avec Charcot, va noter les verbalisations de ces femmes et toutes parlent de viol ou de violences sexuelles. Charcot ne veut pas le savoir ; Freud, qui passe quelques mois à la Salpêtrière, se penche sur le problème. Il vénérait Charcot et va mettre dix ans à se distancer du maître et de sa pensée. Il montre que les symptômes hystériques renvoient à des traumatismes psychiques et non à des lésions cérébrales. Charcot avait arraché la maladie de l’utérus, Freud la détache du cerveau.

3° Freud… moment de fracture

Les patientes viennoises de Freud sont au contraire des bourgeoises, mais un élément reste commun : la condition féminine. Pour lui, l’hystérie est due à un éveil précoce à la sexualité, avant la puberté, et il donne des exemples : « une tentative de viol qui d'un seul coup a dévoilé à la petite fille immature toute la brutalité du désir sexuel ; le spectacle involontaire des actes sexuels des parents qui à la fois révèle une laideur insoupçonnée et blesse aussi bien la sensibilité de l'enfant que son sens moral ; et bien d'autres choses encore » [Névrose, Psychose et Perversion]. Et il pose à 8 ans la « frontière » au-delà de laquelle une expérience sexuelle prématurée ne cause plus d’hystérie à l’âge adulte.

Toutefois, il y a une distinction à opérer entre ce qui est sexuel et ce qui est génital pour Freud : le génital concerne les organes génitaux (pénis ou vagin) mais le sexuel est beaucoup plus vaste. Il faut alors comprendre que l’enfant n’a pas de conception génitale de la sexualité, c’est-à-dire que pour lui la sexualité ne tourne pas (encore) autour des organes génitaux, elle est plus vaste que ça. Dormir dans le même lit est un acte sexuel pour bon nombre d’enfant. Donc un traumatisme sexuel précoce n’est pas forcément un viol, au sens juridique du terme, le comportement déplacé d’un adulte, une séduction, entre aussi dans cette définition. Il se passe néanmoins quelque chose d’ordre sexuel qui suscite un traumatisme chez la jeune fille, ce qui embête profondément Freud :

« Ensuite, la surprise de voir que dans l’ensemble des cas il fallait incriminer le père comme pervers, sans exclure le mien, le constat de la fréquence inattendue de l’hystérie, où chaque fois cette même condition se trouve maintenue, alors qu’une telle extension de la perversion à l’égard des enfants est quand même peu vraisemblable. » Sigmund Freud, Lettre à Wilhelm Fliess du 21 septembre 1897

Ebahi par leur ampleur, Freud ne croit pas à ses propres statistiques. Cette idée d’abus sexuel réels est gênante, car ses patientes font partie de la bonne société, ce qui reviendrait à incriminer des notables… Il trouve alors une solution, qui n’est pas fausse, mais qui a surtout le mérite de sauver les apparences. Il abandonne l’idée d’un traumatisme réel pour l’idée d’un fantasme traumatique. Il explique par exemple le cas d’une paraplégie hystérique d’une femme par le souvenir d’avoir causé l’érection d’un adulte avec son pied étant petite. Cela peut paraître extravagant, mais nombre de patientes parlent de l’émoi qu’a pu leur causée une érection à laquelle elles ne s’attendaient pas, que ce soit gêne, honte, surprise ou plaisir.

Ainsi, dans l’hystérie freudienne, le fantasme se transpose en symptôme, c’est la conversion. La conversion hystérique est le saut du psychique au somatique, de la pensée au corps. La pulsion va se loger précisément dans la partie du corps concernée jadis par un émoi troublant et intense. Une douleur physique en lieu et place d’une douleur morale. La représentation de l’événement traumatique est refoulée mais pas l’affect qui lui est lié, c’est-à-dire que le souvenir est relégué dans les limbes de l’esprit mais pas l’émotion qui va avec. Elle, va rester en suspens jusqu’à trouver quelque chose à quoi se rattacher, c’est-à-dire être abréagit. Dans le cas de l’hystérie, l’abréaction se fait dans la crise.

Selon cette conception, les crises « réinstallent chez la femme un fragment d'activité sexuelle qui avait existé dans les années d'enfance », c’est le retour du refoulé infantile vécu dans un corps adulte. Freud avance même que l’arc hystérique est, par sa posture dystonique comme par sa vigueur, l’exact opposé d’une position propice à l’acte sexuel. Ce qui lui fait dire que « l'attaque convulsive hystérique est un équivalent du coït ». On voit ainsi dans les symptômes hystériques comme une pantomime, dont expression s’appuie sur ce qui domine dans l’environnement. C’est la dernière évolution de la conception de l’hystérie, qu’on retrouve chez Lucien Israël, qui propose l’idée que le symptôme hystérique est un message, une parole corporelle, et l’hystérie échappe ainsi à toute systématisation et à élucidation sur le plan psychopathogénique.

4° La modernité féminine

Jamais les causes de l’hystérie n’ont fait consensus. Il fut un temps où on affublait l’utérus de tous les maux alors que les femmes étaient affublées de tous les mots. Ce qui est aujourd’hui la phobie a ainsi été nommé autrefois hystérie d’angoisse. On a aussi utilisé le terme de spasmophilie pour désigner l’hystérie. Freud la distingue sous le vocable d’hystérie de conversion dont on a parlé plus haut. Les sociétés évoluent, les troubles psychiques évoluent avec, les classifications aussi, ainsi que les diagnostics. Ce que pensent les psychiatres des troubles mentaux fait tout autant partie du trouble que ses symptômes. La façon de penser l’hystérie a disparu mais pas l’hystérie.

Un diagnostic différentiel se doit cependant d’écarter l’endométriose, dont la variété des localisations expliquerait une grande variété des symptômes hystériques, mais également les troubles neurologiques fonctionnels (TNF), auxquels les traumatismes psychiques prédisposent. Et ce sont très nettement les femmes qui souffrent de TNF car, avec les mêmes antécédents, les hommes seront davantage diagnostiqués avec un stress post-traumatique. Car il existe bel et bien une construction sociale du diagnostic. La perversion, qu’on retrouve majoritairement chez l’homme, repose aussi sur une forme de mise en scène. Selon Dolto, « l’hystérie est un comportement qui est fait pour manipuler autrui », mais au sens large. « Porter un uniforme, c’est hystérique », dit-elle, car on change de comportement devant un uniforme. Entre homme, c’est un constant jeu d’influence, « alors que la femme n’avait que son corps pour essayer d’arriver à ses fins, à manipuler l’objet de son désir, pour qu’il fasse attention à elle. »

Dolto dénonçait encore que l’hystérie soit réservée aux femmes, parce que pour les hommes, la même « abréaction exhibitionniste […] était utilisée socialement dans des excitations politiques verbales ou des héroïsmes combatifs à panache spectaculaire, est passait donc cliniquement inaperçue. » L’hystérisation c’est faire remarquer son corps, c’est le trublion des plateaux télé qui "hystérise le débat". Georges Marchais ôtant sa chaussure pour taper sur le bureau, c’est hystérique ; François Mitterrand prenant son tudesque homologue par la main, c’est hystérique ; ou Jean-Luc Mélenchon tambourinant sur son torse en postulant être la République, c’est hystérique ! Or, on dit plus facilement d’un homme qu’il est colérique, la femme seule est hystérique. Ce sont des dogmes psychiatriques.

Pour preuve que la femme hystérique utilise son corps à l’opposé de l’homme pour faire passer un message, il y a cette horrible menace que l’on entend dans les couples qui se déchirent : « Si tu me quittes, je te tue » dit l’homme, mais « Si tu me quittes, je me tue » dit la femme. On pense désormais la perversion avec ce point de vue, le pervers s’en prend à l’autre, la perverse s’en prend à elle-même. On retrouve aussi ce dimorphisme dans l’expression de la colère chez les personnes souffrant de troubles borderline. Cette distinction du corps est politique.

Conclusion

L’hystérie de Charcot et de Freud ne se rencontre plus de nos jours, mais les symptômes ont varié selon les époques. Elle est sortie des classifications à l’occasion du DSM-2 (1968), pour lui substituer le terme de « troubles histrioniques » avec le théâtralisme comme symptôme central, soit une tendance aux expressions émotionnelles spectaculaires, factices, ayant pour fonction principale d’attirer l’attention, l’intérêt, le souci de plaire. Ce progrès a eu pour avantage de détacher l’hystérie du féminin biologique mais pour lui rattaché l’étiquette de comédienne, de menteuse, manipulatrice. C’est parce qu’on n’arrive plus à la classer qu’on dit que l’hystérie n’existe plus, mais les symptômes se sont juste déplacés vers des manifestations davantage dépressives, anxieuses, etc.

On peut dire qu’au siècle dernier, l’hystérie masquait les frustrations sexuelles de cette société corsetée au même titre que le pervers narcissique révèle quelque chose des travers de notre époque actuelle. Dans les sociétés de frustration domine l’hystérie comme les troubles narcissiques dominent dans les sociétés libérée de la frustration. La séduction hystérique, cette envie de plaire histrionique, était peut-être l’expression muselée de cette société qui disait aux femmes « soit belle et tais-toi ». Il faut attendre à peu près le film de Jean Eustache, La Maman et la Putain, au milieu du 20ème siècle pour voir se fissurer les préjugés millénaires sur la séduction féminine.

En allant un peu plus loin, dans la même veine que Freud, pour qui la conversion était le saut du psychique au somatique, peut-il y avoir aujourd’hui, un saut du psychisme au social ? Et instaurer, non pas des troubles psychiques collectifs, mais la diffusion du symptôme au corps social lui-même ? Le sociologue peut très bien se faire l’allier du psychiatre.